Sur les 120 000 tonnes de fraises consommées chaque année, seules 45 000 sont produites en France. Le reste provient d’Espagne ou du Maroc avec des qualités toujours très relatives.
Difficile aujourd’hui de savoir vraiment à quel moment pousse les fraises, puisqu’elles pointent le bout de leurs akènes* dès le mois mars à grand renfort de communication. Et surtout, impossible ou presque de connaître leur mode de production. Une opacité règne sur les emballages, n’ayant pour seule consigne de vanter un label ou une région de production. Pour savoir si les racines ont connu la terre, peu de solution puisque même les vendeurs de primeurs peinent parfois à apporter une réponse ; prouvant là qu’ils ne s’intéressent que peu, voire pas aux produits qu’ils revendent. Alors comment choisir et être sûr de consommer de « véritables fraises » ?
EN ALTITUDE
Voilà maintenant plusieurs années que nos fraises ne touchent plus terre… Rares sont aujourd’hui les fruits produits en plein champs. Pour justifier la culture hors sol, les professionnels avancent plusieurs raisons. Philippe Blouin, producteur et président de l’AIFLG (Association Interprofessionnelle de la Fraise du Lot et Garonne) évoque une production très astreignante pour les sols. La fraise, exigeante en minéraux et en oligoéléments épuiserait la terre, obligeant une rotation des parcelles impossible à assumer pour une exploitation de taille familiale, ce qui est souvent le cas dans la région de production. Alors on imagine un substrat installé à un mètre de hauteur, réunissant toutes les conditions pour accueillir Gariguette, Ciflorette et consœurs. Les fraises « Label Rouge », comme celles produites dans le département du Lot, s’épanouissent dans un mélange composé de terreau et d’écorce de pin, installé en gouttière et conservé sous abris afin de préserver la lumière essentielle à la production tout en augmentant la température. Autre intérêt : la récolte. Difficile aujourd’hui de trouver de la main d’œuvre explique-t-on dans la filière, le fait de ne plus se baisser pour cueillir les fruits est donc un avantage majeur. Mais le goût dans tout cela.
QUALITÉ GUSTATIVE
Si tout le monde se félicite d’une culture raisonnée et de l’utilisation d’intrants à minima, la fraise hors sol rivalise-t-elle avec sa cousine de pleine terre ? Car c’est bien la question. Lorsque le consommateur se saisit d’une barquette, généralement en GMS, ce qu’il attend c’est le plaisir de croquer dans une « vraie » fraise. Ce bonbon de la nature alliant fraicheur, et saveurs acidulées. Sans écarter bien entendu un minimum de mâche… Et c’est malheureusement là où le bât blesse. La fraise hors sol ne procure jamais ni l’un, ni l’autre. La chair est soit terne et sans relief, soit outrageusement sucrée. Parfois même, malgré de jolies formes rebondies et un séduisant rouge vermillon, elles sont dures et sans aucun goût. Alors qu’une fraise dont les racines ont puisé dans la terre les éléments utiles à sa croissance, et dont le soleil aura porté le parfum ne pourra qu’offrir une mâche agréable, ce goût typique, et cet équilibre entre sucre et acidité. Gageons aussi qu’elles se conserveront au lieu de s’avachir lamentablement au bout de 24 h.
LA TRAÇABILITÉ
Ce devrait être le maître mot en matière d’alimentation et d’agriculture. Et c’est loin d’être le cas. Impossible – ou presque – pour la fraise notamment, de savoir comment elle a poussé, et les traitements qu’elle a reçus. Aucune indication ne permet au consommateur de faire son choix en toute transparence. C’est regrettable. Mais ce manque de transparence permet une chose, faire croire aux consommateurs naïfs qu’il n’existe qu’une seule fraise. Celle qu’on veut bien lui servir. À tel point que même les professionnels peinent aujourd’hui à trouver des fruits de qualité satisfaisante pour leur création. C’est donc à chacun de poser les bonnes questions, de se renseigner et de militer pour réussir à bien manger.
*les akènes sont, en fait, le véritable fruit. Ce sont les petites graines disposées à la surface de la fraise.